Comme annoncé dans notre précédent article (à lire ici), nous poursuivons l'entretien avec Geneviève, aidante de son époux, mais aussi de ses deux parents nonagénaires. Elle nous fait partager l'expérience de sa participation à une série de groupes de parole spécifiquement dédiés aux aidants, animés par la Maison des Aidants® - Association nationale. En conclusion de cet article, nous nous entretiendrons également avec Pascal Jannot, président fondateur de la Maison des Aidants®, et animateur de ces sessions.
Geneviève, lors de notre précédent entretien, vous nous avez donné des exemples de changements que vous avez apportés dans votre façon d'être aidante. Vu de l'extérieur, cela ne semble pas être de grands changements. Pourtant vous semblez dire que votre quotidien s'en trouve positivement modifié. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Pour le profane (rire de Geneviève – ndlr), c'est à dire pour celui qui ne sait pas ce que représente concrètement le fait d'être l'aidante d'un proche, 24 h/24 et 7 jours/7, je comprends que cela peut paraître insignifiant.
Mais voyez-vous par exemple le fait de ne plus préparer les repas pour mes parents, cela représente en réalité au moins une heure de travail par jour d'économisée pour moi. Sur une semaine cela représente 7 heures. C'est du temps, mais aussi une pression qui s'est allégée, puisque je devais toujours être dans les temps, vite m'échapper pour leur porter le repas, et vite revenir à la maison pour manger avec Gilbert, non sans avoir au préalable mixé son repas à lui.
Oui je préférais avoir la satisfaction de leur préparer leur repas, leur faire plaisir avec ce qu'ils aiment, respecter leurs habitudes, leurs préférences... Mais c'était au prix de ma santé. Et j'ai choisi d'arbitrer en faveur de ma santé, tout en me disant que si je tombais malade à force, il n'y aurait personne pour s'occuper d'eux et de Gilbert ! C'est à dire que tout ce que je veux éviter (Ehpad pour les trois) pouvait en réalité arriver brutalement.
Les autres participants m'ont aidé à le comprendre, à accepter cette réalité, et à prendre les mesures pour y remédier. J'ai pris cette décision pour moi mais aussi pour ceux que j'aime, en pensant à mes enfants. Je ne voudrais pas tomber malade car moi je n'aurais personne d'autre que mes filles pour s'occuper de moi.
On se fait une idée plus précise lorsque vous entrez dans les détails du quotidien. Pouvez-vous nous donner encore des exemples ?
J'ai demandé à l'une de mes filles qui habite à proximité de chez nous de me montrer comment faire les courses en drive. Je le fais à présent et elle me les récupère en même temps que les siennes.
Au lieu maintenant d'aller faire les courses au galop pendant que l'aide à domicile intervient à la maison, j'utilise son temps de présence plutôt pour mes rendez-vous médicaux, dont j'avais vraiment négligé certains, faute de temps. Ou bien même pour un rendez-vous chez le coiffeur, de façon plus détendue.
Autre exemple très important : le fait d'utiliser toutes les heures prévues par le plan APA*, non seulement me permet d'avoir plus d'aide à la maison, mais va me permettre aussi d'utiliser le droit au répit**. Là je ne l'ai pas encore expérimenté, mais je compte le faire.
Avez-vous déjà envisagé la façon dont vous allez utiliser ce droit au répit ?
Non je ne sais pas encore. Ce qui est certain c'est que j'exclus d'utiliser la solution d'accueil temporaire. D'une part, compte tenu de la particularité de la maladie de Gilbert, je ne pense pas que je trouverais une structure adaptée. Mais quand bien même je la trouverais, je ne l'envisagerais pas.
Gilbert ne comprendrait pas, ce serait trop déstabilisant pour lui, et moi je ne profiterais pas de mon répit en pensant qu'il n'est pas dans sa maison.
En revanche, pouvoir prendre pour moi une demi-journée, et peut-être une entière, pour aller rendre visite à une amie que je ne vois plus depuis trop longtemps, oui cela me ferait beaucoup de bien. Mais dans ce cas j'aurais l'esprit tranquille en sachant que ce serait l'une des intervenantes habituelles qui serait avec lui à la maison.
Avez-vous entendu parler du relayage à domicile ?
Oui nous l'avons évoqué lors des ateliers. Cela me semble être la solution vraiment idéale.Mais un tel dispositif n'existe pas, ou pas encore, là où je vis. Si cela se met en place prochainement, je crois que je serais tentée par cette formule. A condition bien sûr que le coût soit aussi abordable.
Voulez-vous nous donner le mot de la fin de cet entretien ?
Une partie des ateliers a été dédiée à de l'information. J'ai appris qu'il y a des campagnes pour faire connaître les aidants, et j'ai mesuré à quel point nous sommes nombreux, isolés et ignorés. J'ai découvert les affiches des campagnes, je m'y suis bien reconnue.
Mais il reste que dans le concret, dans le quotidien, il faut se débrouiller. Par exemple j'ai appris toute seule à déplacer Gilbert dans le lit, en observant comment procédaient les aides-soignantes. Je me dis maintenant : mais pourquoi personne ne m'a montré dès le départ ? Les gestes d'ergonomie que les professionnels connaissent, pourquoi ne sont-ils pas transmis aux aidants ?
Certaines astuces pour faciliter la prise des repas, que je pensais avoir inventées moi-même, j'ai réalisé ensuite que ce sont des choses évidentes pour les professionnels ! Pourquoi m'avoir laissée tâtonner autant de temps pour découvrir des choses banales qui simplifient la vie ?
Au fil du temps, on se lie avec certaines intervenantes qui transmettent volontiers une part de leur savoir-faire. Mais les intervenantes changent tellement souvent qu'il est difficile d'établir une vraie collaboration. C'est plutôt l'exception que la règle.
Je regrette que sur ce plan très basique de la gestion du quotidien il n'y ait pas déjà un premier niveau de reconnaissance de l'aidante.
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Merci infiniment Geneviève pour cet entretien que nous allons conclure avec Pascal Jannot qui a animé cette série d'atelier.
Pascal Jannot, vous avez suivi notre échange avec Geneviève. Que vous inspire son témoignage en retour de ces ateliers ?
Geneviève exprime au travers de son témoignage particulier le vécu et le ressenti de très nombreux aidants.
Elle a pointé le sentiment de culpabilité auquel il faut «tordre le cou», mais dont l'aidant ne se défait pas s'il n'est pas vraiment accompagné. Et pourtant, comme l'exprime parfaitement Geneviève, c'est bien lorsque l'on se défait de ce sentiment que l'on arrive à faire des arbitrages et à enclencher des changements profitables pour l'aidant, sa santé, la qualité de sa relation avec le proche aidé etc.
Elle a réalisé qu'elle n'était pas seule en rencontrant d'autres aidants. Elle a noté aussi que chaque situation d'aidant est singulière. Geneviève vit une situation particulière, mais pas rare : celle des aidants qui accompagnent plus d'un proche. Un tiers des aidants est dans cette situation.
Geneviève permet à ses parents d'éviter l'Ehpad, car malgré les aides à domicile, s'ils étaient seuls, ils ne pourraient pas gérer les emplois du temps, les rendez-vous médicaux, et ils n'auraient personne à qui faire appel en cas de besoin. Son mari quant à lui ne peut rester à domicile que parce qu'elle se dédie complètement à son accompagnement. On se rend compte alors qu'à elle seule elle évite trois entrées en établissement !
Elle évoque aussi le droit au répit**, trop limitatif d'une part et d'autre part difficile à mettre en œuvre du fait du manque de solutions diversifiées et adaptées pour prendre le relais de l'aidant.
Le relayage à domicile*** est encore au stade expérimental en France.
Le baluchonnage au Québec, dont s'inspire l'expérimentation sur le relayage en France, est en revanche un système largement utilisé et depuis longtemps.
Nous avons vraiment pris du retard.
Elle aborde enfin la question du rapport entre les professionnels de l'aide et du soin et les aidants.
Il n'y a pas encore suffisamment de prise en compte de l'aidant par les professionnels intervenant au domicile. Alors qu'il faudrait que ces derniers soit attentifs aussi à l'aidant, à sa santé notamment, et qu'il faudrait également que se mette en place un vrai partenariat. Rappelons que les aidants sont le piliers de notre système de santé, au même titre que les professionnels. On considère globalement que 30 % de l'aide nécessaire à une personne en perte d'autonomie est assurée par les professionnels, et que 70 % repose sur l'aidant.
La prise en compte de l'aidant devrait être systématique tant au niveau du médecin que des personnels intervenant au domicile afin de repérer le risque d'épuisement, d'apporter soutien et conseils etc.
Il y a encore beaucoup à faire pour que les professionnels dans leur ensemble reconnaissent le rôle de l'aidant, et se décentrent quelque peu de la seule prise en charge de la personne aidée. Mais nous attendons toujours les décisions institutionnelles, politiques qui permettraient d'intégrer la question des aidants de façon transversale et systématique.
Geneviève a fait aussi allusion au reste à charge des heures allouées dans le cadre de l'APA*, ainsi qu'au turn-over important dans les services d'aide à domicile.
Dans le même temps, la loi «Grand âge et autonomie» prend l'allure d'un serpent de mer, puisque le nouveau ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des personnes handicapées a déclaré au journal Le Monde que «Un projet de loi ne me semble pas forcément le plus approprié pour passer à l’action. On devrait attendre de nombreux mois le temps qu’il soit débattu avant de commencer à le mettre en œuvre.»
Pour toutes ces raisons, il faut continuer à oeuvrer encore et toujours à la reconnaissance des aidants à tous les étages du système social.
Les campagnes d'affichage et les événements mis en œuvre dans le cadre des journées nationales des aidants, servent à faire avancer la reconnaissance des pouvoirs publics vis à vis des aidants.
Le thème de la prochaine journée nationale des aidants sera d'ailleurs «Pas sans les 11 millions d'aidants !», un slogan qui revêt plus que jamais un aspect militant aux enjeux sociétaux majeurs.
ANPERE est partenaire de la JNA et notamment du prix Initiatives Aidants. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette prochaine journée (le 6 octobre 2022). Merci pour cet entretien.
* APA : allocation personnalisée d'autonomie
** Droit au répit : institué en 2015 par la loi d'adaptation de la société au vieillissement, il concerne les aidants d'un proche âgé de plus de 60 ans et en perte d'autonomie très importante. En outre il ne peut être mobilisé que si toutes les heures prévues par le plan APA sont utilisées. On parle alors dans le langage administratif de «plan saturé».
***Visiter le site « Baluchonnage en France » pour une information complète et une carte des lieux où ce dispositif est déjà en œuvre.
ARTICLES N° 91 et N° 92 et N°93: La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE