Ils ne sont pas seuls à proprement parler, puisque par définition ils ont au moins une relation, celle avec le proche aidé. En outre 62 % d'entre eux travaillent. Ils sont donc en majorité inclus dans un système relationnel/professionnel. Et pourtant les aidants éprouvent souvent un sentiment d'isolement qui découle de leur rôle.


L'isolement : le paradoxe d'une situation partagée par de nombreux aidants

 

Nous ne parlons pas ici d'un mode de vie choisi, que l'on pourrait changer à tout moment, d'un retrait «sabbatique», ou d'un choix délibéré de «faire le tri» dans ses relations. Nous ne parlons pas non plus des situations exceptionnelles telles que celle que nous traversons actuellement lors des confinements.

Nous parlons d'une situtation subie, pérenne, qui découle de l'aide apportée par l'aidant lorsqu'elle n'est pas suffisamment relayée par des tiers (autres aides bénévoles ou aides professionnelles).

 

De cette implication forte, parfois quasi exclusive, dans le rôle d'aidant découle un sentiment :

 

  • de retrait de la vie sociale ou amicale,
  • d'exclusion de la vie ordinaire qui comporte normalement loisirs, consommation, sorties...
  • de diminution des relations personnelles,
  • de dilatation du temps donné à l'autre et de rétrécissement du temps pour soi,
  • de solitude (du fait de ne pas pouvoir parler de sa situation aux collègues, aux amis... qui souvent se raréfient).

 

Nombre d'aidants ont à la fois la conscience de leur utilité (ils sont indispendables au proche aidé) mais ressentent un sentiment de vacuité, d'inutilité, du fait de la perte d'implication dans tout ce qui n'est pas la relation d'aide à leur proche. Ils vivent une une situation paradoxale, déséquilibrée, dont le sentiment est difficile à extérioriser.

Ils n'ont pas non plus le sentiment de leur utilité sociale, faute d'une suffisante reconnaissance.

 

Durant les périodes de confinement, bien qu'ayant particulièrement souffert de l'absence ou de la diminution des aides extérieures, certains aidants ont d'ailleurs témoigné du fait que pour eux cela ne changeait pratiquement rien, tant ce confinement est leur lot quotidien.

 

Au-delà de la diversité de leurs situations, les aidants ont en commun d'être tous exposés au risque de l'isolement :

 

 

Beaucoup d' aidants ont également du mal à renouer avec la vie relationnelle même lorsque cesse la relation d'aide. Celle-ci imprègne et conditionne souvent, au-delà de sa durée, la vie personnelle de celles et ceux qui aident.

 

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L'isolement : un processus qui s'installe insidieusement

 

Liliane, au mois de février 2021, nous avait raconté son expérience d'aidante.

Plus récemment, nous avons approfondi avec elle la question du sentiment d'isolement. Voici les réflexions qu'elle nous a livrées.

 

Au fur et à mesure que la santé d'Yvon (le mari de Liliane - Ndr) se dégradait, les amis se font faits plus rares. Par la force des choses, nous ne pouvions plus nous rendre chez les uns ou les autres, partir en randonnée, ou en week-end. Même recevoir à la maison devenait compliqué pour moi.

 

Les visites se sont espacées, remplacées par des coups de fil.

Puis les coups de fil sont devenus plus rares, limités aux vœux de bonne année...

Je me suis centrée alors sur les relations familiales. Mais n'ont résisté que les plus proches...

De mes activités militantes passées je n'ai rien conservé, je n'ai évidemment plus le temps et je me sens déconnectée des préoccupations sociales.

Je ne me sens pas seule car mes enfants et petits-enfants restent très proches. Mais je ne veux pas les charger de mes préoccupations. Donc je ne parle pas de mes soucis.

 

J'en ai voulu aux amis de longue date de ne plus nous rendre visite... mais je les comprends. Qu'ai-je à raconter maintenant que mon quotidien est entièrement centré sur Yvon et que lui-même ne communique plus ?

Un livre ? Je le commande sur internet, je n'ai plus le temps, mais surtout plus le désir d'aller à la librairie, alors que j'adorais ça...

Un film ? Pour moi toute seule ? Et puis j'ai perdu l'habitude de m'asseoir, alors regarder toute seule un film ou une émission pendant plus d'une heure sans pouvoir échanger avec personne… non ça ne m'intéresse plus.

Shopping, esthéticienne ? Pour qui ? Pour quoi ?

La coiffeuse à domicile me suffit désormais pour rester présentable...

 

Toutes ces questions m'embarassent en fait. Je n'ai pas envie de me les poser. Je vis au jour le jour, je gère le quotidien, sans rien projeter. D'autant que j'ai aussi mes parents très âgés mais toujours chez eux. Etant la seule sur place, je gère également leur quotidien et les soucis qui vont avec.

 

Alors oui pour être franche je me suis coupée de la vie extérieure. Le seul moyen que j'aurais de me recréer un espace personnel serait qu'une fois de temps en temps quelqu'un vienne à la maison prendre le relais. Mais ça c'est un rêve inaccessible, surtout financièrement.

J'ai découvert tardivement qu'il existait des formules de vacances aidant-aidé. Mais je suis allée trop loin dans la rupture avec le monde... Je ne l'envisage pas.


Une minorité qui n'en est pas une

 

Alors que toutes les minorités cherchent activement à se faire connaître et reconnaître, les aidants pourtant évalués à 11 millions en France, restent isolés.

Pas de statut, pas d'organisation, pas de revendications...

C'est pour cela que le collectif Je t'Aide milite pour la reconnaissance et le soutien aux aidants, et mettra en exergue le thème de l'isolement social lors de la prochaine journée nationale des aidants (6 octobre 2021).

L'invisibilité et le manque de soutien sont extrêmement pénalisants pour celles et ceux qui aident.

Leur sentiment d'isolement en découle directement.

Le cas de Liliane en témoigne : l'isolement insidieusement s'inscrit dans la vie de l'aidant, et a un impact lourd sur le bien-être et la santé. 

 

Faire reconnaître et soutenir les aidants est un enjeu majeur. Sortir les aidants de l'isolement ne doit pas être un vœux pieux, mais se concrétiser par des mesures de soutien multi-formes :

 

  • prévention des risques spécifiques encourus par les aidants : épuisement, problèmes de santé physiques et psychiques...
  • accès aux solutions de soutien et de répit par une meilleure information,
  • formation des professionnels de l'aide et du soin pour une meilleure prise en compte des aidants,
  • diversification des solutions de répit et meilleure répartition territoriale...

 

Nombre d'initiatives existent pour soutenir les aidants, mais aussi utiles soient-elles, elles restent parcellaires et disséminées, au regard de l'importance de la question.

Beaucoup reste à faire pour que notre société intègre véritablement l'aidance comme l'une de ses  composantes essentielles.

Le diapason est attendu des pouvoirs publics, notamment au travers du plan «Agir pour les aidants».


Plaidoyer 2021 :

Prévenir et lutter contre l'isolement social des aidant.es


ARTICLES N° 61 ET 62 La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE