Dans notre précédent article «Pour un aidant-décideur», nous évoquions avec «La Maison des aidants® Association nationale»,  les clés qui peuvent amener l'aidant à moins subir les effets négatifs de son rôle sur sa propre vie, et à (re)prendre en main sa capacité à en définir les limites. Nous abordions la question déterminante à se poser, à savoir «quel type de relation est-ce que je veux conserver ou développer avec mon proche (conjoint, enfant, parent...) en dépit de la maladie ou du handicap ?». Nous poursuivons notre entretien afin de développer le processus qui peut conduire l'aidant à décider d'améliorer sa condition et à retrouver une vie mieux équilibrée entre ses propres aspirations et l'aide prodiguée à son proche.


Rompre avec le sentiment de culpabilité

 

Pour Pascal Jannot, président fondateur de La Maison des aidants® Association nationale, l'un des enjeux essentiels dans le cadre des groupes d'échange entre aidants qu'il anime, est la prise de conscience du sentiment de culpabilité.

C'est un sentiment, souvent très peu conscient, partagé par pratiquement tous les aidants.

Par exemple :

  • les parents d'un enfant malade ou handicapé peuvent se sentir coupables de l'avoir mis au monde avec cette maladie ou ce handicap,
  • le jeune aidant peut se sentir coupable d'être en bonne santé et d'avoir des activités de loisirs quand son frère ou sa sœur subit une maladie ou un handicap,
  • le fils ou la fille d'une personne âgée peut se sentir coupable de n'avoir pas été assez attentif aux signes précurseurs de la maladie, ou d'avoir eu des liens distendus, ou encore, en cas de chute entraînant des complications, de n'avoir pas réagi assez tôt pour sécuriser la maison...
  • le conjoint se sent coupable s'il ne partage pas totalement le sort de son partenaire invalidé par la maladie,
  • enfin, quelque soit le lien avec la personne, on peut avoir des regrets par rapport à une chose que l'on a faite, ou pas faite dans le passé et que l'on voudrait inconsciemment racheter, ou se faire pardonner, en se dévouant à cette personne lorsqu'elle devient fragilisée par l'âge ou la maladie...

 

On pourrait multiplier les exemples à l'infini. L'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire correctement les choses, ou de ne pas en faire assez, le regret d'avoir fait ou non quelque chose... expriment souvent le poids immense de ce sentiment de culpabilité.

De surcroît le regard social est aussi culpabilisant : quel aidant n'a pas entendu, pour peu qu'il quitte un peu son rôle pour une activité personnelle ou un éloignement ponctuel, des phrases du type :

 

  • Tu ne t'inquiètes pas trop qu'il arrive quelque chose pendant ton absence ?
  • Ou encore : tu ne dois pas te sentir bien en sachant qu'il/elle est tout seul ?
  • Ou aussi dans le cas où l'aidant confie son proche à un accueil temporaire : tu crois qu'il/elle ne s'ennuie pas trop sans toi ?
  • Ou mieux encore  : à ta place je n'arriverais pas à la/le laisser tout seul même une heure.

  

Sans compter les :

  • heureusement que tu es là, sinon il/elle devrait aller en Ehpad,
  • tu es solide et tu as beaucoup de courage...

 

qui interdisent à l'aidant d'imaginer qu'il pourrait faire autrement que d'être là et d'être solide !

 

Mais sentiment de culpabilité n'est pas culpabilité ! L'aidant n'est coupable de rien du tout ! Ce qui arrive fait partie de la vie et personne n'y peut rien.

 

Accepter ce qui est, sans chercher la cause  et surtout sans chercher une responsabilité imaginaire, est le premier pas indispensable pour que l'aidant puisse faire évoluer son rôle.

Sans une rupture radicale avec le sentiment de culpabilité, l'aidant ne se reconnaît aucun droit :

  • à une vie personnelle,
  • au répit,
  • à avoir des envies,
  • à exprimer des besoins ou des désirs,
  • à accepter de l'aide ou à déléguer des tâches,
  • à avoir du temps pour soi etc.

 

 

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Alors que dans notre société l'on revendique le droit à «être soi-même», à s'affranchir du regard social, à ne pas avoir de complexes ... le poids du sentiment de culpabilité que les aidants portent est tout simplement incroyable. Cela en fait une minorité (de 11 millions de personnes tout de même!) silencieuse qui ne revendique rien. Il est grand temps de faire évoluer les choses.

 

L'aidant a le droit de se poser des questions

 

L'aidant a le droit de se poser des questions. Parmi celles-ci, comme nous le disait Pascal Jannot, l'une est déterminante car elle conditionne toutes les autres :

 

«Quel type de relation est-ce que je veux conserver ou développer avec mon proche (conjoint, enfant, parent...) en dépit de la maladie ou du handicap ?».

 

Car si la situation n'est plus la même qu'avant, du fait de la maladie ou du handicap, la relation quant à elle peut rester de même nature qu'avant.

Par exemple :

  • Je suis un époux/une épouse et je souhaite conserver une relation de couple basée sur la complicité, le respect des individualités, le partage des idées, l'échange, le dialogue etc...
  • Je suis un fils ou une fille et je souhaite conserver une relation filiale avec mon parent,
  • Je suis un frère ou une sœur et je souhaite conserver la relation fraternelle telle qu'elle était avant...

A partir de l'affirmation de ce souhait, l'aidant va alors se demander ce qu'il va devoir faire et ne pas faire pour que cette relation d'avant ne soit pas envahie par des tâches quotidiennes, répétitives, contraignantes, épuisantes, qui vont lui faire perdre sa nature.

 

C'est ainsi que dans le cadre des groupes d'échange entre aidants, les questionnements se libèrent :

 

  • Si j'effectue des tâches qui relèvent de l'intimité de la personne aidée, est-ce que je ne vais pas être avant tout son aidant-e au lieu d'être son conjoint, son enfant, son frère ou sa sœur ?
  • Si je ne conserve pas de temps pour moi, est-ce que je vais pouvoir continuer à me ressourcer à l'extérieur, pour apporter de la richesse à la relation ?
  • Si je n'ai plus le temps de prendre soin de moi, est-ce que je garde aux yeux de mon époux/se le côté séduisant qui faisait partie des qualités qu'il/elle me trouvait ?
  • Si je suis fatigué-e par le fait d'accomplir trop de tâches du quotidien, est-ce que j'apporterai toujours à mon frère/ma sœur la légéreté et la bonne humeur qui étaient le sel de notre relation fraternelle ?
  • Si je prodigue des soins intimes à mon enfant handicapé devenu adolescent ou adulte, est-ce que je respecte son droit à la pudeur vis-à-vis du père ou de la mère que je suis ? Etc.

 

Ces questionnements sont salutaires, car ils vont permettre à l'aidant d'écarter de son champ d'intervention des tâches qui seront confiées à des professionnels de l'aide ou du soin.

Et ce qui semblait à priori impossible devient possible, du fait de la rupture d'avec le sentiment de culpabilité :

 

  • faire appel à un service de soins infirmiers à domicile pour la toilette,
  • demander les aides légales (APA*, PCH** par exemple qui ne sont pas toujours sollicitées alors que la personne aidée y ouvre droit)
  • s'accorder des temps de répit,
  • accepter de confier les tâches ménagères, ou une partie d'entre elles, à des services à domicile,
  • utiliser les dispositifs de vacances prévus pour les séjours aidant/aidé,
  • s'absenter en se faisant remplacer bénévolement ou en faisant appel à un service, etc.

 

Si la ligne de mire reste pour l'aidant le maintien de la relation telle qu'il la souhaite et qu'il l'a définie, alors les problèmes qui semblaient énormes trouvent des solutions.

 

Comme en témoigne Maguy :

 

«C'est vrai que je trouve le ménage moins bien fait par l'aide ménagère que par moi-même, mais après tout quelle importance puisque cela me permet d'être moins fatiguée, plus disponible et de meilleure humeur vis à vis de mon mari. J'ai redécouvert l'affection que je lui porte depuis que je suis libérée de certaines tâches qui m'empêchaient de donner la priorité à notre relation de couple»

 

Jean-Paul :

 

Depuis que les infirmières viennent faire la toilette de ma femme, je me sens libéré d'une contrainte. Et quand elle revient de la salle de bain toute belle, je passe un bon moment à lui faire la lecture. C'est un plaisir nouveau que nous avons découvert. Cela n'était pas le cas avant. Ereinté de lui avoir donné la douche, je n'avais qu'une envie : la laisser dans son fauteuil devant la TV.

Elle est redevenue ma compagne, et non plus une malade que je devais péniblement déplacer pour lui faire prendre sa douche.

 

Ou encore Marie-Lise :

 

J'étais épuisée par le fait de soutenir ma mère à domicile, mais je ne me sentais pas le droit de faire autrement. La décision a finalement été prise de lui faire intégrer un Ehpad. Bien que difficile au début, cette nouvelle vie nous a permis asssez vite de retrouver une relation complice. J'ai plaisir à lui rendre visite souvent, alors que passer chez elle tous les jours après le travail était devenu un supplice, je le reconnais maintenant. A présent, au contraire, c'est un plaisir partagé, assorti d'autres petits plaisir : un gâteau , regarder ensemble un épisode de son feuilleton, papoter...

 

Ce dont témoignent également ces aidants, et qui n'est pas le moindre des bénéfices obtenus par la décision de changer les choses, c'est que leurs proches semblent aussi en quelque sorte reconnaissants d'avoir pu ainsi retrouver leur propre place d'époux, d'épouse ou de fille.

 

*   APA : Allocation personnalisée d'autonomie

** PCH : Prestation de compensation du handicap

 

A écouter :

En quoi la culpabilité peut-elle être utile ? - Le podcast Bonjour Fred

 


 ARTICLES N° 79 et N° 80 : La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE