Volet 1 - Urgences – Hôpital – Soins palliatifs


 

Anna, les urgences, l'hôpital et les soins palliatifs

Nous entamons une série d'articles au cours desquels nous laisserons des aidant.es s'exprimer sur leur expérience des institutions, organismes ou services de soins qu'ils.elles sont amené.es à rencontrer dans le cadre de leur rôle d'aidant.es.Ces témoignages n'ont pas vocation à tirer des conclusions générales, positives ou négatives.Ils ont pour objectif de relater des expériences vécues subjectivement par toutes celles et ceux qui, au quotidien, font le lien entre la personne âgée, handicapée ou malade et l'ensemble du monde professionnel qui travaille, au quotidien également, pour apporter des soins ou de l'aide.Rencontres parfois heureuses, parfois difficiles, entre deux mondes : celui des proches aidants et celui des aidants professionnels.

Le premier témoignage sera celui d'Anna.

 

Un passage par les urgences

Ma mère, à 83 ans, a déclaré au cours de l'été une maladie de la moelle osseuse incurable à son âge.Le seul traitement possible consistait en une transfusion hebdomadaire de sang, afin de lui permettre de vivre encore pour une durée qu'il n'était pas possible de définir a priori.Très courageuse, maman a bien accepté le diagnostic, et avec son sens de l'humour habituel nous a dit «Moi au moins j'ai la chance de savoir de quoi je vais mourir !».

 

Durant les deux premières semaines, elle s'est rendue à l'hôpital de jour afin d'y recevoir sa transfusion. Mais très vite, ce traitement s'est révélé impuissant à la soutenir. J'ai dû, un matin très tôt, la conduire aux urgences du fait de l'état de faiblesse extrême dans lequel elle était retombée.

En raison de l'épidémie de covid, je n'ai pas pu entrer avec elle aux urgences, et je n'ai pu communiquer que par téléphone avec le médecin urgentiste qui, en fin de journée, m'a informée que ma mère avait reçu une nouvelle transfusion et que l'urgence étant passée, elle pouvait rentrer chez elle.

J'étais stupéfaite et affolée, car ayant vu à quelle vitesse ma mère faiblissait, je savais que si elle rentrait, elle allait inévitablement se retrouver exténuée sous 48 heures, et qu'il faudrait de nouveau lui faire vivre le cauchemar d'une entrée à l'hôpital par les urgences.

 

Trouver une place dans un service

J'ai dû vraiment batailler pour qu'on lui «trouve une place» afin qu'elle reste hospitalisée, le temps au moins de pouvoir parler avec l'équipe médicale et envisager un retour à domicile avec des services et soins adaptés à son état (jusqu'alors ma mère était parfaitement autonome et avait seulement une aide ménagère deux heures par semaine). 

J'ai pu joindre le médecin hématologue qui la suivait et le convaincre, non sans mal, que le retour à la maison préconisé par le médecin des urgences n'était pas réaliste. Finalement en fin de journée elle a pu intégrer un service.

Mais en définitive, maman n'est plus sortie de l'hôpital, car elle n'a vécu que deux semaines après les événements que je relate. C'est dire si le retour à domicile initialement envisagé était totalement en dehors de la réalité !

 

ARTICLE N° 48  LA MAISON DES AIDANTS / ANPERE

 


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Une évaluation sous tension


Durant son séjour à l'hôpital, elle a bénéficié de soins pour la soutenir. Le médecin du service de médecine interne, avec qui nous avons eu un échange approfondi, conseillait une suite d'hospitalisation au sein de l'unité de soins palliatifs. L'hospitalisation à domicile n'était dans son cas pas envisageable.

Maman, très lucide sur son état, très courageuse et très bien informée par le médecin, était tout à fait d'accord,. Celui-ci a donc fait le nécessaire pour qu'elle reçoive la visite de l'équipe mobile de soins palliatifs pour une évaluation.

Au bout de deux jours, n'ayant pas de nouvelles sur la perspective d'entrée en soins palliatifs, je contacte moi-même l'unité. L'infirmière coordinatrice m'indique qu'il ressort de l'évaluation réalisée que ma mère ne souhaite pas entrer en soins palliatifs et exprime son désir de rentrer chez elle.

Complètement désorientée, je fais part à maman des informations qui m'ont été données. Très faible mais très lucide, elle me répond : «Bien sûr j'ai dit que si c'était possible j'aimerais rentrer chez moi pour prendre des affaires, dire adieu à mon chat, revoir ma maison... mais je n'ai jamais dit que je ne voulais pas aller en soins palliatifs ! »

Le surlendemain, à l'initiative du médecin du service que j'ai informé du malentendu, un nouveau rendez-vous a lieu avec l'unité de soins palliatifs pour une nouvelle évaluation, cette fois-ci en ma présence.

Je dois le dire, lors de cette rencontre, j'ai perdu patience. J'ai mal supporté que l'infirmière coordinatrice soumette  maman, qui faiblissait à vue d’œil, à un nouvel interrogatoire.

Nous sommes donc sorties discuter à l'extérieur de la chambre et j'ai exprimé mon désaccord sur la méthode. Si je peux comprendre qu'il est primordial de recueillir l'accord du patient, je comprends mal  qu'on l'épuise à re-confirmer ce qui a été dit et redit, tant au médecin du service qu'à sa personne de confiance (c'est à dire moi-même).

Je n'ai pas apprécié non plus le ton condescendant de l'infirmière me disant : «Nous comprenons que vous soyez en difficulté face à la mort..». Ou bien encore « Vous idéalisez les soins palliatifs vous savez... il faut que vous regardiez la réalité, les soins ne seront pas différents que ceux qu'elle reçoit actuellement... ».

J'ai alors rétorqué assez vertement que d'une part, ce qui me mettait en difficulté c'était les procédures épuisantes et mal coordonnées. Que d'autre part, le sujet de la mort n'était pas un tabou dans notre famille, et que ma mère avait à ce propos rédigé ses directives anticipées. Qu' il était extrêmement clair pour ma mère, mon frère et moi-même qu'il n'y avait aucune possibilité de guérison. Et qu'enfin, s'il n'y avait pas de spécificité des soins palliatifs, je me demandais pourquoi ils existaient !

Puis j'ai alors subi une série de questions pour vérifier ce que je savais des soins palliatifs, et ce que j'en attendais.

J'en attendais simplement qu'ils permettent à maman une fin de vie dans le calme, chose qui n'est pas possible dans un service de soins curatifs.

Qu'on ne lui propose pas du poulet au repas alors qu'elle peut tout juste avaler deux cuillères d'une compote que je dois lui faire manger car elle n'a plus la force elle-même.

Qu'elle ne soit plus dérangée par les portes qui s'ouvrent ou les lumières qui s'allument brusquement, le bruit des conversations dans le couloir etc...

[Je tiens à préciser que mes propos n'étaient pas du tout désobligeants pour le personnel du service dans lequel elle était.

Mais comment le personnel de service pourrait-il savoir que maman ne peut plus manger ?

Comment pourrait-il savoir que dans son état on ne supporte plus ni le bruit ni la lumière ?

Comment le personnel soignant peut-il savoir qu'il n'est plus utile de mesurer sa tension, sa température ou sa glycémie aussi souvent ? Que cela l'épuise et n'a plus de sens ?

Les personnels d'un service de soins curatifs sont ici pour soigner des personnes qui vont sortir, pas pour accompagner une personne mourante].

Mes arguments ont dû être convaincants, puisqu'à la fin de cette discussion un peu animée, l'accord a été donné pour une entrée en soins palliatifs dès que possible. J'ai demandé quel délai moyen pouvait être envisagé : il y avait deux personnes avant elle qui attendaient.

 

L'entrée en soins palliatifs n'aura pas lieu

Deux jours après cet entretien un lit au sein de l'unité de soins palliatifs était disponible.

Trop tard hélas, elle était trop faible pour être transportée, même si l'unité de soins palliatifs se trouve très proche. Elle s'est éteinte le soir même.

J'ai pu accompagner maman jusqu'au bout, j'ai dormi à l'hôpital, j'ai tenu sa main jusqu'au dernier souffle. J'ai établi avec les infirmiers et aides-soignants une relation de compréhension, de confiance et de sympathie.

Je n'ai rien à reprocher à personne, chacun fait avec engagement sa part de travail, souvent très spécialisée. Je comprends aussi qu'il faille des procédures et qu'elles sont longues.

Mais il me reste de cette expérience des regrets pour tout le temps perdu.

Maman pouvait vivre ses derniers jours dans un service adapté, où le personnel accompagne la fin de vie.

J'avais au préalable visité le service de soins palliatifs : tout était calme, apaisé, silencieux, chaleureux et prévu pour accueillir les proches qui veulent rester auprès de la personne en fin de vie.

 

Ce service a été installé au sein de l'ancienne maternité, où maman a mis au monde ses enfants.

Je lui avais fait la promesse en plaisantant que tout le monde allait revenir à la maternité. Cela lui avait bien plu et l'avait fait sourire.

J'aurais pu tenir cette promesse si les procédures avaient été moins longues, moins redondantes,  et surtout si le nombre de lits en soins palliatifs n'était pas aussi limité.

Il faut «attendre son tour» … qui dans le cas de maman est arrivé trop tard.

 


 Pour aller plus loin :


ARTICLE N° 49 LA MAISON DES AIDANTS / ANPERE