Dans cette série d'articles consacrés à la question de la qualité de l'accompagnement d'un proche, nous avons vu en partie 1 comment tout aidant peut s'essayer  à un auto-diagnostic afin d'amorcer une première réflexion. Dans la 2ème partie, nous avons fait le constat que la définition de la qualité de vie pour l'aidant est subjective, complexe, mais pas impossible à appréhender et surtout à améliorer. Dans ce 3ème volet, nous aborderons ce qui pourrait constituer des critères de qualité de vie du point du vue de la personne aidée. Nous verrons aussi comment intégrer tous les éléments dans une notion d'équilibre global, sur lequel repose en finalité la qualité de l'accompagnement.


 
La qualité de vie, une notion difficile à mesurer

La qualité de la vie est d'une façon générale une notion assez difficile à mesurer.

L'Insee* dans un document déjà ancien (2013) observait que la faiblesse des liens sociaux, les difficultés financières, les mauvaises conditions de logement, un mauvais état de santé et le stress de la vie courante étaient les facteurs les plus négatifs sur la perception par les individus de leur qualité de vie. Et parmi ces critères, deux se démarquaient comme étant encore plus impactants : le stress et la faiblesse des liens sociaux.

 

Concernant les personnes dont l'autonomie est diminuée, la santé est nécessairement un élément de qualité de vie fortement affecté. Pour autant, la santé ne peut pas être le seul critère de la qualité de vie, comme évoqué précédemment. D'ailleurs aucun critère à lui seul ne peut être déterminant.

Il s'agirait donc plutôt d'une forme d'équilibre, les aspects les plus négatifs s'équilibrant avec ceux plus positifs pour définir, dans un contexte donné, de façon subjective, une perception globale et individuelle de la qualité de vie.

 

Pouvoir vieillir chez soi est un souhait exprimé par 85 % des français selon un sondage de l'IFOP réalisé en 2019. Rester à domicile malgré la maladie, le handicap ou le grand âge semble être un idéal à atteindre, auquel se dédient tout particulièrement les aidants.

 

Mais cet élément suffit-il à assurer au proche aidé une bonne qualité de vie ? On peut avoir une vie épanouie en établissement et une vie difficile à domicile... Là encore, nous restons dans la subjectivité.


Le nécessaire dialogue aidant/aidé 

Nous avons traité dans de précédents articles la question de la bienveillance et de la bien-traitance (à retrouver ici et ici).  Nous avions souligné que la bienveillance se réfère à l'intention de l'aidant, alors que la bientraitance se mesure au ressenti de l'aidé.

Comment alors évaluer ce ressenti de l'aidé sur sa qualité de vie ? L'intention de l'aidant concorde-t-elle toujours avec le ressenti de la personne qui bénéficie de l'aide ?

Le seul moyen de le savoir ne serait-il pas de le lui demander ?

Tout comme l'aidant peut se livrer à un auto-diagnostic de sa propre situation (comme évoqué en partie 1 et 2), il peut également engager avec son proche un dialogue pour recueillir la perception de celui-ci.

En préalable et en préparation à ce dialogue, l'aidant peut réfléchir à un certain nombre de questions, ou de points à évaluer. La liste qui suit n'est pas exhaustive et elle reste bien sûr à adapter à la situation et aux capacités à s'exprimer de la personne aidée :

 

  • Dans le cadre de l'accompagnement que je lui assure, mon proche :

  • reste-t-il partie prenante des décisions qui sont prises le concernant ? Ou bien je décide et je gère sans avoir à le concerter ?

  • exprime-t-il des souhaits, ou bien je suppose que ses besoins sont toujours ceux que je m'attache à satisfaire ?

  • a-t-il toujours la possiblité d'avoir des espaces d'intimité (physique ou mentale) ou bien se réduit-il à sa dépendance ? …

  • Ce qu'il attend de moi concorde-t-il avec ce que je fais pour lui ?

  • Y a-t-il de son côté des choses qu'il souhaiterait pour moi ? (que je sorte, que j'ai des temps de repos, de loisirs...)

 

Ces quelques exemples de questions ont pour but de sortir d'une forme de routine qui a pu se cristalliser au fil du temps, et d'induire des interrogations susceptibles de remettre en discussion des faits que l'on croit établis et immuables.

 

Nul n'est mieux à même d'exprimer son ressenti sur sa propre qualité de vie que la personne concernée. Parfois ce ressenti s'exprime positivement par des marques de reconnaissance, d'affection, de tendresse... ou négativement par de la colère, des refus, des exigences de la part de la personne aidée.

Mais si l'on peut parvenir, par des questions ouvertes et franches, à recueillir sereinement la perception de la personne aidée sur sa propre qualité de vie, on franchit un grand pas dans l'amélioration de la qualité globale de l'accompagnement car l'on entre dans le dialogue aidant/aidé.

Et seul ce dialogue, quelle que soit la forme qu'il peut prendre pour s'adapter aux capacités de la personne aidée, permet de rééquilibrer la relation d'aide afin que chacune des parties prenantes y trouve son propre équilibre.

 

La qualité globale de l'accompagnement, une question d'équilibre

 

Dans le binôme aidant.e/aidé.e, la qualité de vie de l'un ne peut se faire au détriment de la qualité de vie de l'autre. Sinon on ne peut pas parler de qualité globale de l'accompagnement.

Or souvent l'aidant s'oublie pour assurer à son proche ce qu'il pense être la meilleure qualité de vie possible compte tenu du contexte.

Mais un aidant qui oublie ses propres besoins et fait l'impasse sur sa propre santé physique ou mentale, est à terme un aidant qui s'épuise... et un aidant épuisé ne peut pas assurer la qualité d'accompagnement qu'il espérait donner à son proche.

Ce que l'on suppose être la satisfaction des besoins du proche est parfois fondé sur un «cahier des charges», la plupart du temps très exigeant, que l'aidant a défini seul. Or l'équilibre par définition se trouve en faisant bouger les deux plateaux de la balance. Si l'on peut entamer précocement ce dialogue entre les attentes et besoins de chacun, on peut aussi le faire évoluer pour réadapter la relation d'aide au fil du temps.

 

Le témoignage de Suzy ** est à ce sujet très éclairant :

 

J'avais toujours considéré, depuis le début de sa maladie, que les besoins de mon mari (paraplégique ndr) étaient de vivre à la maison avec tout le confort que je pouvais lui apporter : bien manger, être toujours impeccable, être confortable au lit ou au fauteuil, être à ses petits soins en somme...

Au fur et à mesure, j'en ai fait toujours plus, au point de m'épuiser, et avec toujours moins de marques d'affection de sa part. Plus je me dédiais, plus il semblait aigri et acerbe.

Alors que nous avions par le passé une bonne relation de couple, j'était devenue comme une employée de maison, dont il ne semblait jamais content. A mon tour je finissais par le prendre en grippe. On ne se parlait plus. Je devenais dépressive, ce qui l'irritait encore plus.

En participant aux groupes de paroles entre aidants, j'ai peu à peu réalisé que ce qui avait manqué au départ de mon engagement d'aidante, c'était le dialogue avec mon mari.

Homme de caractère, habitué à diriger sur le plan professionnel, je n'ai pas compris que son handicap lui faisait ressentir une forme de déchéance que je n'ai pas su lui faire exprimer.

J'étais tout entière dédiée à son confort, et j'ai décidé seule de ce qui était bon pour lui.

 

Après plusieurs séances de groupe de parole, je me suis décidée à tout remettre à plat avec lui.

Il m'a alors exprimé le désir qu'il aurait de me voir prendre du temps pour moi, sortir, voir des amis, aller chez le coiffeur... Je n'en revenais pas ! En réalité, ce qui se passait entre nous était le résultat d'un long processus de culpabilité des deux côtés. Moi je me sentais coupable de ne jamais en faire assez pour lui, lui se sentait coupable d'être totalement dépendant de moi. Tous ces reproches inconscients que nous nous faisions l'un à l'autre avaient tissé un lien négatif entre nous.

Depuis ce dialogue constructif, les choses vont beaucoup mieux. Moins de fatigue pour moi, plus de sentiment d'autonomie pour lui.

Je peux dire aujourd'hui que même si la situation est difficile (c'était évidemment mieux quand il n'était pas malade), nous sommes arrivés à «trouver chacun notre équilibre dans une relation équilibrée».

 

On pourra aussi voir ou revoir le film «Intouchable» qui est un très bel exemple de relation équilibrée entre une personne handicapée et son aidant. Démonstration brillante qu'une relation d'aide équilibrée, quel qu'en soit le style ou la nature, est un gage d'accompagnement global de qualité.

 

* Insee : Institut national de la statistique et des études économiques

** Témoignage recueilli auprès de  La Maison des Aidants® – Association nationale 

 


ARTICLES N° 101 et 102: La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE