Par son ampleur et sa soudaineté, la crise du Covid-19 bouscule nombre de nos certitudes et semble mettre à l’épreuve certaines valeurs qui, au cours des dernières années, avaient pourtant réussi à s’imposer dans nos sociétés. Au premier rang des valeurs aujourd’hui questionnées : celle de la solidarité entre générations. Vécue par une proportion non négligeable de français de manière courante au sein du cercle familial, cette solidarité intergénérationnelle, en situation de crise sanitaire, semble soulever bien des interrogations au niveau collectif. Sur quels repères éthiques doit-elle se fonder ? A quel prix peut-elle être mise en œuvre ? Jusqu’où le principe de précaution doit-il s’appliquer ? Autant de questions qui nous montrent à quel point la mise en œuvre d’une solidarité effective se présente plus que jamais comme un défi.


 

Canicule de 2003 et solidarité tardive

Ce défi de la solidarité intergénérationnelle, notre société y a déjà été confrontée lors d’une précédente crise sanitaire : celle de la canicule de l’été 2003 qui a provoquée la mort de 14 000 personnes âgées sur une période relativement courte. A l’époque, la France entière avait été choquée de constater l’extrême vulnérabilité de ses aînés trop souvent isolés et l’incapacité de notre système de santé, déjà très fragilisé, à y faire face. Le mot d’ordre avait alors été unanime : « Plus jamais ça ! ». Erigé en point de repère central, le principe de précaution à l’égard de nos aînés s’est donc par la suite imposé comme l’un des principes directeurs des politiques publiques de santé.

 

Covid-19 : la vulnérabilité des séniors

Rien d’étonnant donc à ce que, dans la première phase de gestion de la pandémie du Covid-19, l’un des principaux leitmotivs ait été de protéger nos aînés, très vite identifiés comme les plus vulnérables face au virus. Oubliés de la crise de 2003, les séniors sont donc de fait devenus l’une des enjeux majeurs au centre de la stratégie de régulation de la pandémie mise en place pour éviter la saturation du système hospitalier et donc la catastrophe annoncée. Une stratégie qui s’est très vite concrétisée par la décision inédite de confinement d’une grande partie de la population.

 

Confinement et effet boomerang

Très vite pourtant, il est apparu clairement que, bien que nécessaire pour endiguer la propagation du virus – et nous pouvons aujourd’hui déjà en mesurer les bénéfices –, le confinement n’allait pas lui aussi sans poser problème. Non seulement, il n’a pas permis d’empêcher l’explosion de la mortalité des personnes âgées confinées dans les Ephads et les établissement médicaux sociaux. Mais en plus, outre les effets délétères qu’il a pu provoquer sur la santé mentale et l’équilibre psychique des personnes les plus fragiles, il a aussi de fait impacté directement les populations les plus jeunes appelées à payer le prix fort de ces décisions de sécurité sanitaire sur le plan économique et social.

 

La balance bénéfice/risques

Forts de ces constats, il était donc légitime pour les autorités de s’interroger sur le juste équilibre à trouver entre la poursuite d’un confinement pour des raisons évidentes de sécurité sanitaire et le retour progressif vers une sortie de confinement pour des raisons non moins évidentes de sécurité économique. Après une première phase stratégique de gestion de l’urgence et du « quoi qu’il en coûte », il nous a donc fallu entrer dans une seconde phase d’analyse du rapport bénéfice / risque.

 

Complexité de la décision

Les crises sanitaires nous révèlent donc qu’il ne suffit pas d’appeler de ses vœux une solidarité intergénérationnelle pour que cette dernière soit effective. En période de tension, force est de constater que sa mise en œuvre ne se fait pas sans heurts. Principe de précaution, considération de sécurité sanitaire de santé publique, contraintes économiques, risques de fractures sociales et territoriales : nombreux sont les critères dont il faut tenir compte au moment des arbitrages, souvent difficiles. Est-ce à dire qu’il faut renoncer à l’exigence de solidarité ? Evidemment non. Mais que, plus que jamais, faire de la solidarité intergénérationnelle une réalité dans nos sociétés relève du défi !